Les applications de l’Intelligence Artificielle

Avant toute chose, il faut réaliser que l’IA n’est pas un produit, ni un progrès qui va faire progresser un seul secteur. L’ IA est une capacité horizontale qui va impacter de nombreux domaines de la société. Cet impact sera parfois visible, mais le plus souvent discret.

L’IA s’intègre progressivement dans nos modes de vie sans que nous nous en rendions vraiment compte. Nous sommes habitués aux recommendations personnalisées des sites de commerce électronique, aux itinéraires calculés par GPS et aux engins de recherche intelligents. Actuellement, nous nous habituons aux modèles conversationnels et demain nous verra familiers avec les images et les films générés de manière automatique, voire peut-être aux voitures autonomes partagées.

La généralisation des ordinateurs ainsi que leur interconnexion via internet lors des dernières décennies s’est faite de manière progressive et a transformé notre mode de vie de manière à la fois discrète et inexorable. Cette infrastructure est la fondation que l’IA exploite pour se déployer à son tour aujourd’hui, avec la même discrétion et la même ubiquité. Elle accompagne et renforce nos processus cognitifs, tout en continuant à apprendre de nos actions. L’IA deviendra progressivement un assistant, un compagnon dont le modes de raisonnement nous sont étrangers malgré l’apparence de la familiarité.

Dans ce qui suit, je vais essayer d’imaginer les domaines dans lesquels l’IA offre le plus de potentiel. Bien sûr cet exercice doit être abordé avec humilité car il s’agit d’un domaine extrêmement incertain et dont la complexité dépasse de beaucoup les compétences d’une personne. Lors de la rédaction de cet article, je me suis inspiré de différentes lectures que vous trouverez dans la partie Notes et Références.

Cet article se focalise sur les applications positives de l’IA. Mais ce fort potentiel s’accompagne de risques importants que je couvrirai dans un prochain article.

1. Education

L’éducation est un domaine dans lequel la promesse de l’automatisation reste incomplètement réalisée. Il y a certes eu d’importants progrès dans la diffusion de la connaissance grâce aux réseaux informatiques, comme Wikipedia ou Khan Academy mais cette diffusion reste largement unidirectionnelle.

L’énorme avantage de l’IA est qu’elle peut adapter son contenu et ses interactions de manière dynamique en fonction de l’état d’avancement de la compréhension de l’étudiant. Dans une école traditionnelle, le professeur doit enseigner simultanément à une classe et cherche donc un niveau de complexité qui va bénéficier au maximum à l’ensemble des élèves, ce qui signifie viser l’élève médian tout en délaissant l’élève excellent et l’élève médiocre. Le temps qu’il peut consacrer aux élèves de manière individuelle reste limité et souvent insuffisant pour compenser ce problème de niveau.

Ce problème est connu depuis longtemps et reflète une limitation inhérente au modèle académique actuel, limité par ses ressources et ne pouvant bénéficier des mêmes effets d’échelle que les modèles automatisés. Une étude de Benjamin Bloom en 1984 appelée « Two Sigmas » montre qu’un enseignement personnalisé – soit fourni par un tuteur individuel- permet d’améliorer dramatiquement les performances des élèves (de deux écarts-types en termes statistiques).

C’est précisément cet énorme potentiel que l’IA promet d’adresser. En offrant des exercices et des mécanismes d’évaluation interactifs, l’IA va identifier les lacunes de l’étudiant et proposer des explications et mécanismes de remédiation, et ce de manière strictement individualisée et avec une patience infinie si nécessaire. Pour les plus jeunes, des exercices peuvent être présentés sous forme ludique.

L’apparition des modèles conversationnels enrichit le champ des possibles; une interface conversationnelle offre un nouveau niveau d’informalité susceptible d’attirer plus les étudiants rebutés par le contenu trop monolithique. Imaginez prendre un modèle génératif générique (à la GPT4) et continuer à l’entraîner sur tous les manuels de cours (ou syllabi universitaires) d’un domaine donné, puis l’affiner à travers des dialogues avec des professeurs spécialistes du domaine, jusqu’à ce que la qualité et la fiabilité soient suffisante. Vous disposez alors d’un mentor conversationnel qui peut répondre informellement à vos questions sur le sujet, 24h sur 24 et sans jamais perdre patience… et c’est d’autant plus simple à faire que les cours (au moins dans l’enseignement primaire et moyen) sont standardisés, donc tout est disponible…je suis convaincu que de tels modèles seront répandus d’ici quelques années. La technologie est disponible dès aujourd’hui.

Cela ne signifie pas que l’IA va se substituer aux enseignants, mais que ces derniers pourront être puissamment assistés par l’IA qui sera intégrée au processus éducatif, par exemple en modifiant le travail en autonomie (devoirs / leçons) pour le remplacer par une tutorat personnalisé quotidien. Les périodes de vacances pourraient devenir un moyen pour les moins avancés de rattraper leur retard beaucoup plus efficacement qu’aujourd’hui.

Et si vous voyez le potentiel dans nos pays sur base de votre propre expérience éducative et celle de vos enfants, imaginez l’impact de ces technologies sur l’éducation et la connaissance dans les pays du tiers-monde, où les écoles sont parfois éloignées, difficiles d’accès, les classes surpeuplées et à l’infrastructure chancelante, les enseignants peu motivés, absents et/ou mal formés…

J’ai voulu commencer par l’éducation car ce domaine est à la base de tous les autres. Augmenter le capital humain par l’éducation, c’est enrichir la société de demain; si ce mouvement est global et permet de mieux capter et affiner l’énorme réservoir de talents de la jeunesse des pays où l’éducation est moins développée aujourd’hui, l’enrichissement sera encore plus grand, et les progrès futurs encore plus rapides.

2. Santé

Le potentiel de l’intelligence artificielle dans les soins de la santé est très important, et va se manifester à trois niveaux :

Premièrement, au niveau du diagnostic et du traitement. Il s’agit d’un domaine de recherche actif depuis des décennies. L’idée est de voir des algorithmes IA jouer le rôle d’assistant ou de conseiller au praticien sur base des données collectées sur le patient (imagerie, prises de sang, antécédents… ). L’IA suggère un diagnostic au médecin, et de même pour le traitement. Aujourd’hui, ces applications existent mais elle restent confinées aux laboratoires de recherche et aux sociétés technologiques, la difficulté principale étant l’intégration et l’opérationnalisation dans les processus cliniques qui doivent aussi tenir compte de l’éthique médicale. Ces problèmes ne sont pas insurmontables et la mutiplication des sources d’information sur le patient provenant à la fois des dossiers médicaux informatisés (EHR) et bientôt de la génomique individuelle va considérablement renforcer l’attrait et l’efficacité de cette assistance automatisée.

De plus, le potentiel de l’IA dans la recherche pharmaceutique et le développement de nouveaux mécidaments est très important. Disposer de meilleurs médicaments comme de nouveaux antibiotiques va bien entendu renforcer l’impact des progrès dans le diagnostic et le traitement.

Deuxièmement, au niveau de la prévention et du suivi des patients. Au plus les patients participent activement à la gestion de leur santé, tant au niveau préventif que du suivi de leur traitement, au mieux ils se portent. Il s’agit d’une préoccupation majeure car de nombreux patients sont peu attentifs à leur santé au quotidien. Perdre du poids, prendre rendez-vous pour un examen complémentaire, ou respecter un plan de traitement médicamenteux demandent une certaine discipline personnelle et les moments d’interaction directe avec un professionel de la santé sont par nature limités. C’est ici qu’un assistant médical personnel piloté par l’IA prend tout son sens. Exploitant les informations transmises par des capteurs individuels (smartphone, montre connectée…), l’assistant médical IA va pouvoir rappeler au patient ses traitements, l’alerter de la survenance de nouveaux symptômes et lui suggérer la marche a suivre tout en contextualisant et personnalisant les réponses à ses questions. L’idée est ici d’encourager le patient à prendre sa santé au sérieux à travers des petits rappels et suggestions exprimées de manière conviviale tout en tenant également le personnel soignant informé de l’évolution du patient.

Troisièmement, au niveau de l’ administration hospitalière. Un hôpital moderne est une véritable ville dans laquelle des patients sont échangés sans cesse entre les services et leurs chambres, les produits médicaux et les médicaments consommés de tous côtés au fil des traitements et des opérations, les médecins consultant ou opérant les patients à la chaîne. Les hôpitaux disposent déjà de nombreux mécanismes de planification et de gestion automatisés mais ceux-ci agissent encore souvent de manière isolée. L’ IA permettra une gestion consolidée de ces différents processus, augmentant le champ d’optimisation et donc l’efficacité de l’ensemble. Et si l’IA permet d’alléger la charge de travail administrative du praticien, cela lui donne plus de temps pour se consacrer à son activité curative…

Comme pour l’éducation, c’est dans les pays les plus pauvres que l’impact de l’IA dans la santé sera le plus important. Aujourd’hui, beaucoup de gens du tiers-monde ne voient pratiquement jamais de médecin et les soignants de première ligne verront leur efficacité multipliée par l’assistance de l’IA éventuellement combinée à des machines connectées abordables, comme des appareils d’échographie. Il faudra que ces assistants automatisés tiennent compte des contraintes locales, tant au niveau des spécificités épidémiologiques (maladies tropicales) que des contraintes humaines, comme les personnes n’ayant pas accès aux cliniques ou ne pouvant se permettre d’interrompre leur travail.

Après l’éducation, la santé est le second domaine fondamental. Après que l’éducation ait créé le capital humain, il faut le maintenir en bonne condition -en bonne santé- pour lui permettre de produire, de créer et de contribuer le plus longtemps possible à la société. Toute avancée dans ces deux domaines rejaillit sur la prospérité collective.

3. Productivité

A court terme, nous pouvons nous attendre à ce que des IA génératives type GPT soient intégrées dans les outils de productivité actuels comme Microsoft Office ou Google Suite. La programmation informatique joue ici le rôle de pionnier. Les modèles génératifs ont des affinités manifestes avec le code informatique, et des assistants IA existent depuis quelques mois dans des environnements de programmation, comme Github Copilot ou Cursor (un dérivé de VSCode). Le retour d’expérience des programmeurs est indéniablement positif, et l’efficacité des programmeurs va progresser, d’autant plus que les modèles vont continuer à progresser eux aussi.

A moyen terme, nous pourrons disposer d’une IA personnalisée plus généraliste qui suivra l’ensemble de nos interactions digitales et pourra s’habituer à notre personnalité et nos usages. Elle pourra gérer nos agendas, proposer des réponses aux emails que nous recevrons, passer des commandes sur des sites de commerce électronique et fonctionnera à travers l’ensemble de nos outils informatiques. Il est possible que nos ordinateurs privés contiennent un assistant pour notre vie privée, tandis qu’un autre assistant -éventuellement mis à disposition par l’employeur- nous aidera dans le cadre professionnel.

En parallèle, certaines tâches intellectuelles répétitives comme l’encodage de documents, le support à la clientèle de première ligne ou le télémarketing verront une plus grande automatisation. Le rôle humain ne disparaîtra pas mais il se reportera sur les activités à plus forte valeur ajoutée et/ou accordant une plus grande prime à l’interaction personnelle (support de seconde ou troisième ligne, finalisation de l’acquisition d’un nouveau client…).

Ceci suscite des interrogations légitimes quant à l’impact sur l’emploi. La spécificité de l’IA est qu’elle s’adresse aux tâches cognitives et non aux tâches manuelles comme lors des précédentes vagues d’automatisation. Cette fois, ce sont donc les cols blancs qui sont concernés et non les cols bleus.

Néanmoins, il faut garder deux choses en mémoire : premièrement, un gain de productivité reste fondamentalement une bonne nouvelle car il va permettre de dégager du temps consacré à des activités répétitives pour le réorienter soit vers des tâches plus valorisantes soit vers des loisirs.

Et deuxièmement, les gains de productivité dans les économies avancées sont en berne depuis les années 1980. La révolution de l’informatique et des télécommunications qui a démarré à la même époque n’a pas entraîné les gains de productivité que l’on aurait pu en attendre. On peut donc espérer que l’IA concrétise enfin les promesses de la digitalisation et relance l’expansion de la productivité.

4. Aspects Sectoriels

ans ce qui précède, je me suis volontairement concentré sur les applications qui impacteront tout le monde. Mais les différents secteurs d’activité économique seront également transformés à des degrés divers par l’IA. Afin de circonscrire le propos, je vais ici me limiter à quelques exemples.

Le domaine des transports est déjà en pleine transformation. GPS, navigation, assistance à la conduite sont une préfiguration des applications de demain. Le transport est au fond un immense exercice d’optimisation d’un problème de déplacement de personnes et de marchandises en utilisant des ressources (véhicules) et une infrastructure donnée (routes, chemins de fer…). Au plus il est traité de manière consolidée, au plus grandes les optimisations possibles : gestion intelligente du trafic, véhicule autonomes partagés, multimodalité intégrée…

L’énergie est un autre secteur susceptible d’être transformé en profondeur; le réseau électrique est un système complexe dans lequel la production doit équilibrer la consommation à chaque instant. Consommation qui est répartie à travers des millions de foyers et d’entreprises autonomes. Ceci est aujourd’hui réalisé par des mécanismes d’équilibrage et de stabilisation mais qui ne disposent que d’informations partielles et ne sont pas optimaux. L’émergence des smart grids dans lesquelles les acteurs individuels échangent de l’information avec les sytèmes de contrôle va permettre un pilotage beaucoup plus fin des réseaux et permettre une meilleure résilience en cas de problème sérieux d’approvisionnement. Sans oublier que le caractère intermittent des énergies renouvelables rend les algorithmes de prédiction de production encore plus essentiels.

Dans l’agriculture, chaque exploitation peut être considérée comme un système autonome complexe qui consomme des ressources (semences, eau, pesticides) pour exploiter une infrastructure (les champs et pâturages) afin de générer un produit (céréales, viande…) en tenant compte des conditions climatiques. L’IA va jouer un rôle d’optimisation du système et va bénéficier des synergies avec une autre technologie émergente : les drones, qui vont rendre possible l’observation de l’infrastructure en temps réel et pallier au plus vite à un problème éventuel de stress hydrique ou végétal.

Conclusion

Si les vagues d’automatisation précédentes étaient concentrées sur la génération et la distribution d’information, la phase qui s’annonce mettra l’accent sur l’exécution et la réalisation. Nous allons enfin exploiter pleinement le cycle d’innovations digitales qui a commencé avec l’informatique et internet. L’internet des objets et l’ubiquité des capteurs connectés se joignent à l’orchestre en fournissant à l’IA les données omniprésentes dont cette dernière a besoin.

Les potentialités sont grandes et il est difficile de prévoir où elles s’arrêteront. Si l’on arrive à intégrer pleinement la robotique avec l’IA, le champ d’action s’étend vers de nouveaux secteurs comme la construction. De la même manière, l’intégration complète des drones avec l’IA est un autre multiplicateur potentiel.

Mais il faut garder en mémoire que ces technologies peuvent à la fois être utilisées de manière constructive et de manière destructive. Un robot ou un drone intelligent peuvent être d’excellents ouvriers mais aussi de redoutables soldats. Les modèles génératifs peuvent être utilisés pour l’éducation mais aussi pour la désinformation. Les profonds changements de société que l’IA laisse entrevoir risquent de causer des déséquilibres : croissance des inégalités, modification du rapport à l’emploi…

Je couvrirai plus en détails les risques liés à l’IA dans le prochain article.

Références